samedi 15 juin 2013

Lettre à mon confrère François

Lettre d'un chef d'entreprise -Alban, dirigeant de PME- à un autre chef d'entreprise -François, dirigeant de la France.






Cher confrère, 
 
Après avoir mené une brillante carrière, vous avez atteint votre objectif. Vous êtes le Président d’une grande entreprise. 66 millions de membres du personnel, plus de 2 000 Mrds d’€ de chiffre d’affaires… c’est là une fantastique fonction qui vous a été confiée. Je ne peux que vous souhaiter bonne réussite pour mener à bien votre barque, même si d’aucuns vous ont attribué un plus humble navire. 
 
Tout comme pour vous, ce sont 30 ans de labeur qu’illustrent mon actuelle fonction. Moi aussi, la cinquantaine passée, j’ai pu atteindre le haut du podium. Après avoir œuvré au sein d’entreprises dont je n’étais qu’un des soutiers anonymes, me voici enfin Président. Comparée à la société France, FASTNET RESEAUX & TELECOM est bien frêle, avec ses 30 collaborateurs; Et ses 5 M€ de chiffre d’affaires des plus modestes. Je me permets quand même de vous appeler « Cher Confrère » ; Non parce que j’œuvre dans la ville de votre bras droit, mais parce que cette dimension d’entreprise me situe dans les 4% des plus grandes du pays. 

Pour bien relativiser les choses, plus de 3 500 000 patrons d’entreprises ont des structures plus modestes, alors qu’une centaine de mille seulement en ont des plus imposantes, et seulement 40 sont maîtres du CAC… 40. Vous excuserez cette remarque de potache, mais au moins vous rappellera-t-elle ce qu’est un patron d’entreprise. 
Nous sommes donc très proches. A 4% près, vous aviez ma place et moi la votre. Je pense en écrivant ces mots à ces joueurs de loto qui perçoivent 10 € et qui, à un numéro près, seraient millionnaires. Ils regardent le gros gagnant mais trouvent que 10 €, c’est déjà bien. 
 
Comme tout chef d’entreprise la solitude du pouvoir me pèse, parfois. J’ai besoin de discuter avec mes pairs pour consolider mes choix, panser mes plaies, élucubrer quelques théories de développement ou construire des châteaux en Espagne, où le bâtiment va pourtant si mal. A lire la presse à votre endroit, vous êtes aussi bien isolé. Puissions nous alors nous épauler par quelques échanges réconfortants. 
 
Votre marché est plus vaste que le mien : Vous vendez des prestations d’éducation, de sécurité, de culture, de santé, de transport, des assurances sociales, du conseil et bien d’autres encore. 
Je mets en place des solutions de câblage informatique, du réseau, de la téléphonie, de la visioconférence. 
 
Malgré ces quelques différences, nous rencontrons bien des difficultés communes : Des frais fixes trop élevés, des clients insatisfaits, des mois difficiles à boucler, des affaires en berne.

En novembre dernier, après un an de vie sous perfusion, j’ai été amené à restructurer mon entreprise. Sous l’égide du Tribunal de Commerce, j’ai réduit considérablement les frais fixes pour dynamiser ma structure. C’est là une opération douloureuse mais sans elle mon entreprise mourait. Six mois plus tard, la santé de FASTNET s’était améliorée. 
De votre côté, aux commandes depuis moins longtemps, vous n’avez pas encore franchi cette étape. Vous n’êtes pas encore entre les mains du FMI mais votre Commissaire aux Comptes, à Bruxelles vous regarde d’un mauvais œil et vous recommande chaudement quelques mesures un peu brusques. Pour vous comme pour moi, se faire taper sur les doigts alors qu’on se veut maître chez soi met l’ego à rude épreuve. Ceci dit, considérant que vos frais sont à ce jour à plus de 57% de votre chiffre d’affaires, je ne saurai trop vous recommander de vous inspirer de la voie que j’ai dû prendre. Tous vos confrères, Suédois, Canadiens ou autres sont passés par cette étape pour dynamiser leur activité. Sérieusement, mon cher confrère, comment pouvez vous espérer tenir votre entreprise (et vous même, à sa tête), en ayant des effectifs aussi inadaptés. Votre équipe éducation est pléthorique, onéreuse et de moins en moins efficace par rapport à vos concurrents. Il en est de même pour votre équipe santé à tel point que les membres de votre personnel qui y ont droit préfèrent cotiser chez vos concurrents Suisses. Vos offres de transport sont bien aléatoires, quand vos salariés (contrôleurs aériens, pilotes, cheminots, chauffeurs… ) arrêtent brusquement leur travail alors qu’ils sont notoirement mieux lotis que leurs alter ego étrangers. En province, vos cadres dirigeants conservent du personnel sans activité ou presque dans nombre de vos sous-préfectures, d’autres s’entourent d’une Cour d’obligés au travers de communautés de communes, d’associations, de commissions et autres, dont les activités sont redondantes. Pourquoi ne simplifiez-vous pas votre organigramme ? Sachez à titre d’illustration que dans le département où j’exerce, 800 de vos salariés sont en charge du développement économique. La plupart n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise. Qu’en pensez-vous ? A l’ère de l’e-mail généralisé, de combien avez vous réduit la population de vos postiers ? N’avez vous pas 50% de personnel de plus que votre concurrent Allemand, dont la population est pourtant supérieure ? Votre empilement de postes fonctionnels ne peut pas vous permettre de tenir bien longtemps. 
Vous constatez des difficultés financières. Vous dépensez 4% de plus que vous ne gagnez. Vous en êtes réduit à quémander de l’argent, tous les mois, auprès de la finance internationale. La dernière fois c’était en Chine, où vous rappeliez à votre bon souvenir ceux qui acceptent de financer les dettes souveraines. Vous avez là grande habileté à les convaincre, alors qu’avant de prendre vos fonctions vous vous engagiez à lutter contre cette même finance internationale. 
 
De mon côté, je veille à tenir informé mes banquiers de tous mes faits et gestes. Bien qu’atteignant – péniblement – l’équilibre, aucun n’accepte de me faire la moindre avance. Je me demande parfois si votre poids est tel qu’une partie de l’argent qui pourrait m’être prêté ne termine pas dans vos caisses. 
 
Votre objectif de réduire ce gouffre à 3% d’ici à la fin de votre exercice comptable est une saine orientation. A cette fin vous avez choisi d’augmenter le prix de vos prestations. Vos clients voient ainsi leur facture d’impôts s’accroître régulièrement. Les plus importants d’entre eux commencent à s’orienter vers la concurrence. Entreprises et individus réfléchissent à travailler pour vos confrères étrangers. Comme vous avez choisi d’augmenter plus fort encore vos prix pour les plus productifs, ce sont eux qui, les premiers, partent sous d’autres cieux. Chefs d’entreprise délocalisant vers l’Europe de l’Est ou l’Asie, cadres dirigeants happés par les Britanniques ou les Américains, jeunes à hauts diplômes et à fort potentiels (souvent enfants des précités) ne rêvant plus que d’une carrière dans des zones du monde où rêver de faire fortune n’est pas un pêché. 
Vous avez un faible pour les théories économiques Keynésiennes, je vous en rappellerai une autre : L’élasticité prix est un indicateur de la réaction de la demande face à une variation du prix. L’élasticité prix correspond à la formule « Variation relative de la demande / Variation relative du prix. ». L’élasticité prix est bien sûr généralement négative car la demande baisse lorsqu’un prix augmente. Dans votre cas elle a été traduite par « trop d’impôt tue l’impôt » ou bien, comme le disait Adam Smith, « L'impôt peut entraver l'industrie du peuple et le détourner de s'adonner à certaines branches de commerce ou de travail ». Je rajouterai que de notre temps, mon cher confrère, l’industrie du peuple se détourne pour s’adonner AILLEURS à certaines branches de commerce ou de travail. 
Dans mon entreprise et en période de crise, je me garde bien d’avoir une telle attitude. Je cherche au contraire à avoir le plus de clients possible, quitte à ne dégager qu’une plus faible marge sur chacun d’eux. Une augmentation de mes prix serait dramatique. C’est la première chose à contrôler dans un environnement où la concurrence est vive. Puissiez vous là aussi réfléchir à cette option. 
Peut-être notre différence d’attitude provient-elle de nos échéances respectives. Vous souhaitez coûte que coûte garder votre poste à l’issue de votre premier mandat. J’ai quant à moi une vue à plus long terme. La finalité de l'entreprise, son but premier, c’est à dire sa raison d'être est d'assurer sa survie ; Ce qui se traduit par une recherche de profit dans un premier temps. 
 
Cher confrère, même si votre entreprise est conséquente, elle n’emploie qu’1% de la population mondiale. Vous avez 200 pays concurrents. Ne me parlez alors pas de relance par le déficit, il n’est plus applicable : Entre le moment où Keynes a quitté ce monde et aujourd’hui, le commerce international a été multiplié par 300. Vos clients, les Français, ne sont plus satisfaits ; Vous comme moi avons atteint l’âge où la moitié des fonctionnaires est déjà en retraite, n’est-ce pas la phase de notre vie ou nous devons atteindre la sagesse ? Cessez d’espérer la prolongation de votre mission en veillant à ne pas insatisfaire ceux qui, travaillant dans le secteur protégé, vous ont assuré votre mandat. Je ne crois pas en votre incompétence, mais, s’il vous plaît, quittez votre dogmatisme, au profit de votre pays. 
Dans l’attente de vous lire recevez, cher confrère, mes encouragements les plus sincères. 

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